Kandinsky, Quelques cercles (1926)
Einige Kreise,
1926
Quelques cercles
Several Circles
Huile sur toile, 140,3 x 140,7 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York
Quelques cercles
Several Circles
Huile sur toile, 140,3 x 140,7 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York
L’âme
étant, en règle générale, étroitement liée au corps, il est possible qu’une
émotion psychique en entraîne une autre, correspondante, par association. Par
exemple, la couleur rouge peut provoquer une vibration de l’âme semblable à
celle produite par une flamme, car le rouge est la couleur de la flamme. Le
rouge chaud est excitant, cette excitation pouvant être douloureuse ou pénible,
peut-être parce qu’il ressemble au sang qui coule. Ici cette couleur éveille le
souvenir d’un autre agent physique qui, toujours, exerce sur l’âme une action
pénible. Si c’était le cas, nous trouverions facilement par l’association une
explication des autres effets physiques de la couleur, c’est-à-dire non plus
seulement sur l’œil mais également sur les autres sens. On pourrait par exemple
admettre que le jaune clair a un effet acide, par association avec le citron.
Mais il est à peine possible d’accepter de telles explications. A propos du
goût de la couleur, les exemples ne manquent pas où cette explication ne peut
être retenue. Un médecin de Dresde rapporte que l’un de ses patients, qu’il
caractérise comme un homme d’un « niveau intellectuel très
supérieur », avait coutume de dire qu’une certaine sauce avait
immanquablement le goût de « bleu », c’est-à-dire qu’il la ressentait
comme la couleur bleue. (…) Ce serait une sorte d’écho ou de résonance, comme
cela se produit avec les instruments de musique dont les cordes, ébranlées par
le son d’un autre instrument, s’émeuvent à leur tour. Des hommes d’une telle
sensibilité sont comme l’un de ces bons violons dont on a beaucoup joué et qui,
au moindre contact de l’archet, vibrent de toutes leurs cordes. Si l’on admet
cette explication, il ne faut pas mettre l’œil uniquement en liaison avec le
goût, mais également avec tous les autres sens. Certaines couleurs peuvent
avoir un aspect rugueux, épineux, d’autres, par contre, donnent une impression
de lisse, de velouté, que l’on a envie de caresser (le bleu outremer foncé, le
vert de chrome, le carmin). Même la différence d’impression de chaud ou de
froid des tons de couleurs repose sur cette sensation. (…) Enfin l’audition des
couleurs est tellement précise qu’on ne trouverait certainement personne qui
tente de rendre l’impression de jaune criard sur les basses d’un piano ou
compare le carmin foncé à une voix de soprano.
Vassily
Kandinsky, Du spirituel dans l’art, V
Il
est maintenant facile de constater que la valeur de telle couleur est soulignée
par telle forme, et atténuée par telle autre. En tout cas, les propriétés des
couleurs aiguës sonnent mieux dans une forme aiguë (ainsi le jaune dans un
triangle). Les couleurs profondes sont renforcées dans leur effet par des
formes rondes (ainsi le bleu dans un cercle).
Vassily
Kandinsky, Du spirituel dans l’art, VI
D’une
manière tout à fait générale, la chaleur ou la froideur d’une couleur est une
tendance au jaune ou au bleu. C’est là une distinction qui s’opère pour ainsi
dire sur le même plan, la couleur conservant sa résonance de base, mais cette
résonance de base devient de son côté plus matérielle, ou plus immatérielle.
C’est un mouvement horizontal, le chaud sur ce plan horizontal allant vers le
spectateur, tendant vers lui, alors que le froid s’en éloigne. (…) Si l’on fait
deux cercles identiques et que l’on peint l’un en jaune et l’autre en bleu, on
s’aperçoit, après une brève concentration sur ces cercles, que le jaune
irradie, prend un mouvement excentrique et se rapproche presque visiblement de
l’observateur. Le bleu, en revanche, développe un mouvement concentrique (comme
un escargot qui se recroqueville dans sa coquille) et s’éloigne de l’homme.
L’œil est comme transpercé par l’effet du premier cercle, alors qu’il semble
s’enfoncer dans le second. (…) Si l’on essaie de rendre le jaune (cette couleur
typiquement chaude) plus froid, il prend un ton verdâtre et perd immédiatement
ses deux mouvements (horizontal et excentrique). Il prend ainsi un caractère
quelque peu maladif et surnaturel, comme un homme plein d’énergie et d’ambition
qui se trouve empêché par des circonstances extérieures d’exercer cette énergie
et cette ambition. Le bleu, mouvement tout à fait opposé, freine le jaune, si
bien qu’en continuant à ajouter du bleu, les deux mouvements contradictoires
s’annihilent, produisant l’immobilité totale et le calme. Le vert apparaît. (…)
Cette propriété du jaune, qui a une nette tendance vers les tons plus clairs,
peut être amenée à une force et à un niveau insoutenables pour l’œil et
l’esprit humains. A ce niveau, il sonne comme une trompette, jouée dans les
aigus et de plus en plus fort, ou comme le son éclatant d’une fanfare.
Vassily
Kandinsky, Du spirituel dans l’art, VI
Commentaires
Enregistrer un commentaire